portrait : © Solange Cassette, fond : © M. Burrus
Monique Burrus : « croire à la force du collectif et ... en soi aussi ! »

Monique Burrus : « croire à la force du collectif et ... en soi aussi ! »

Le métier d’enseignant-chercheur se partage entre enseignement universitaire, recherche scientifique et organisation administrative. Son parcours se rapproche plus de la vie maritime que de la vie terrestre : il ne consiste pas seulement à choisir des sentiers de randonnée, mais à suivre un cap en fonction des vents et des courants. Monique Burrus, directrice adjointe de la FR AIB participe, en plus de ses nombreuses implications, à tenir la barre de la fédération. Elle partage ici, au gré des questions de Solange Cassette, un parcours des plus originaux.

La France d’Est en Sud-Ouest

© Nathalie Escaravage

Solange Cassette (SC) : Après une Maîtrise à l’Université Pasteur de Strasbourg, vous intégrez l’ENSA de Toulouse et obtenez le diplôme d’Ingénieur agronome en 1986[1].  Qu’est-ce qui vous décide pour ce parcours peu commun : une école d’ingénieur plutôt qu’un DEA par exemple ? 

Monique Burrus (MB) : J’étais admise en DEA de virologie à Strasbourg et en écoles d’ingénieur agronome à Nancy et à Toulouse. Mon coup de cœur pour le Sud m’a fait dire « Je quitte l’Alsace pour faire une autre expérience au bout du monde… qui était Toulouse à l’époque ! ». C’est en partie un choix géographique et l’opportunité de bouger mais je voulais aussi me former en biotechnologies, avec une dimension de travail en laboratoire, en lien avec l’agronomie. 

Jusqu’au cœur américain : le Midwest

© M. Burrus
Le tournesol, sujet de thèse

(SC) : Vous entamez ensuite une thèse sur le tournesol en Biotechnologies végétales à l’INP Toulouse et la société Pioneer Hi Bred International[2] à Des Moines dans l’Iowa aux Etats-Unis. Pourquoi et comment avez-vous fait pour rejoindre cette société américaine ? Quelle était votre motivation ?

(MB) : Je vais remonter un peu le temps ! Je suis diplômée d’agronomie et on me propose un poste –un job d’été–- dans un laboratoire pour faire des manips de culture in vitro de tournesol pendant une saison. Il se trouvait que la société qui proposait ce job d’été était une filiale de Pioneer. Au cours de l’entretien pour ce poste, le recruteur me demande mes motivations et je lui dis « Ah, c’est un travail temporaire ! Mon idée est de faire une thèse plus tard. ». Il me répond « Banco, je vous embauche de suite pour une thèse ! » J’ajoute « Je voudrais partir aux Etats-Unis : cela fait partie de mes rêves. Est-ce envisageable ? » Il répond « D’accord, vous partez un mois. » Un mois s’est transformé en deux ans et demi.

Retour aux sources alsaciennes

© monikawl999 - Pixabay
Strasbourg, maisons anciennes fleuries

(SC) : Puis, vous faites un post doc à l’Institut de biologie moléculaire des plantes (IBMP) de Strasbourg pendant deux ans. Pourquoi intégrer un laboratoire en France plutôt qu’à l’étranger ? Pourquoi l’IBMP ?

(MB) : J’avais passé deux ans et demi extraordinaires dans le Middle West mais je ne me voyais pas rester définitivement aux Etats-Unis ; j’ai saisi une opportunité de revenir en France lors d’un colloque. C’était à contrecourant de ce qui se faisait habituellement : d’habitude la thèse en France, puis le post doc à l’étranger. […] « Et pourquoi l’IBMP ? » En fait, c’est un institut connu pour ses études de pointe sur les plantes avec une diversité de thématiques remarquable. Revenir à Strasbourg était une chose ; travailler à l’IBMP dans cet institut dédié aux plantes une autre. Pouvoir matcher les deux était exceptionnel.

Creuser un sillon puis renouveler le chemin scientifique

© C Lauzeral
Journée de terrain, étude sur la biodiversité

(SC) : De 1993 à 2001, vous êtes Maître de conférences à l’Université de Reims Champagne Ardenne (URCA). Vous enseignez en section 65 « Biologie cellulaire ». Mais, en 2001, vous accomplissez un virage professionnel : non seulement une mutation à l’Université Paul Sabatier de Toulouse (UPS) mais aussi un changement de section du CNU[3]. De la biologie cellulaire, vous bifurque vers la biologie des populations et l’écologie. Expliquez-nous votre évolution ; pourquoi cette sorte de revirement ?
 

(MB) : Pendant huit ans, j’ai travaillé dans le monde des biotechnologies de la vigne et des mécanismes de résistance à des virus. Cela a été une expérience stimulante, riche de collaborations mais l’opinion publique était opposée à tout ce qui était transfert de gènes et vignes transgéniques. On m’a bien proposé de continuer mes études à l’étranger mais… impensable ! Il était urgent de changer de thématique de recherche, d’effectuer un tournant. […] Et puis il y a eu cette opportunité offerte par Christophe Thébaud afin de rejoindre son équipe en biologie évolutive. J’avoue que cela a été un challenge de « passer » de la biologie cellulaire et moléculaire à l’écologie.

Imaginer, créer et organiser des formations de haut niveau

(SC) : Vous enseignez depuis plus de trente ans aujourd’hui. A l’URCA, vous avez créé un Master sur la valorisation des ressources agronomiques. A l’UPS, pendant dix ans, vous vous impliquez dans le Master biodiversité écologie évolution (BEE), notamment dans le parcours Gestion de la biodiversité. Pour la période 2022-2026, vous êtes Responsable du Master2 Man & Biosphere (MAB). Il faut beaucoup de volonté, d’énergie et d’endurance pour s’impliquer autant. Quels sont vos ressorts personnels pour cela ? Qu’est-ce qui vous guide ?

(MB) : La passion de transmettre, d’accompagner les jeunes dans une transition professionnelle. Et la passion de les aider à se réaliser, à prendre confiance en eux. Je pense que c’est ce qui me motive le plus. La plus belle satisfaction est de retrouver d’anciens étudiants en poste, épanouis et heureux. C’est un réel bonheur !

Sans oublier la formation continue

(SC) : Vous vous êtes investie dans l’accompagnement des professionnels, en particulier la formation tout au long de la vie : reprise d’études (VA85), validation des acquis de l’expérience (VAE), apprentissage. Est-ce une façon pour vous de ne laisser, au long cours, personne sur le bord de la route en matière de formation ?

(MB) : Oui ! Je pense que chacun.e doit pouvoir évoluer dans sa vie pour garder au maximum la cohérence entre ses aspirations personnelles, qui changent parfois au fil des années, et ses missions professionnelles. La formation continue tout au long de la vie propose des outils pour aider ces personnes à trouver un nouveau sens à leur engagement professionnel, en se réorientant. […] C’est à ces personnes en recherche de sens que je suis heureuse de proposer un autre parcours professionnel associant l’Homme et la Biosphere.

Volet recherche : une attention particulière aux pollinisateurs

© C Lauzeral
Etude sur la pollinisation en milieu naturel

(SC) : Vous êtes très impliquée dans l’étude de la pollinisation. Notamment –je vous cite– « la reconstruction des réseaux d’interactions plantes-pollinisateurs par génomique environnementale et […] l’évaluation du service de pollinisation en milieu naturel ». Lors d’un JeudiSciences, vous nous avez présenté « Le mystère des réseaux de pollinisation ». Selon vous, y a-t-il aujourd’hui une prise de conscience défaillante sur l’importance du sujet, et plus largement sur la biodiversité ?

(MB) : Je pense qu’au niveau scientifique la prise de conscience est bien là ! La difficulté est d’informer et sensibiliser le grand public et de les inciter à changer leurs pratiques ; d’éclairer la prise de décisions des élus, des politiques et des décideurs sans pour autant relayer de message anxiogène, sous peine de tuer des initiatives. 

Faire coopérer les scientifiques mais pas que

© F. Azemar
Subularia aquatica, étang de Comte, Parc national des Pyrénées
© F. Azemar
Subularia aquatica, étang de Comte, Parc national des Pyrénées

(SC) : De 2016 à 2019, vous avez été responsable scientifique du projet GREEN[4] portant sur la préservation, la gestion et la valorisation des territoires du Massif des Pyrénées. Coopération transfrontalière : 22 partenaires andorrans, espagnols et français. Le réseau de coopération, d’échanges d’expériences et de connaissances en faveur de la biodiversité pyrénéenne perdure-t-il aujourd’hui ?

(MB) : Juste une correction : j’ai été coordinatrice pour la partie du CRBE, uniquement. Ce projet européen, porté par Sébastien Chauvin (Forespir), a rassemblé des profils et des compétences complémentaires, des nationalités différentes vers un seul et même objectif : la co-construction d’outils partagés de monitoring de la biodiversité. […] Mes collègues du CRBE, Hervé Gryta et Nathalie Escaravage, et moi avions une toute petite contribution à ce projet, l’étude de la diversité génétique d’une plante aquatique protégée à l’échelle des Pyrénées : la subulaire aquatique. Des collègues plongeurs d’Ecolab nous ont grandement aidés !

Se tourner vers le grand public aussi

(SC) : Il y a quelque temps, au Forum de la FR AIB, vous avez parlé d’un projet de réhabilitation de jardin botanique sur le site du Pic du Midi. Vous faisiez un appel assez large aux personnes –pas forcément scientifiques– qui seraient intéressées. De quoi s’agit-il exactement ?

(MB) : Le Pic du Midi est un objet unique au monde ! On a tendance à oublier qu’il a d’abord été connu et reconnu pour ses études de botanique et de météo en fin du 19ème siècle.
Joseph Buget, en 1899, y avait créé le premier jardin botanique pyrénéen de haute altitude. Cette botanique a survécu jusqu’aux années 70, grâce à la volonté d’un nombre de pyrénéistes éclairés et passionnés. Petit à petit, l’observation des étoiles a pris plus d’ampleur aux dépens des sciences végétales. […]
Dans le dossier de candidature au patrimoine mondial de l’UNESCO, cette science vivante au sommet du Pic est à réactiver. […] Un groupe de travail s’est constitué pour proposer différents programmes de recherche. Certaines personnes de la FR ont répondu « présent » à cette aventure. J’en suis ravie !

© M. Burrus
Projet de restauration du jardin botanique au Pic du Midi

(SC) : Vous avez participé[5] à l’élaboration de l’exposition au Museum de Toulouse « Sex-appeal, la scandaleuse vie de la nature ». Dans l’ouvrage éponyme, vous avez co-écrit avec Nathalie Escaravage le chapitre « La sexualité des plantes à fleurs ». Malgré vos fonctions d’enseignement et de recherche déjà chronophages, quel intérêt trouvez-vous à élargir ainsi vos activités vers le grand public ?

(MB) : Partager passion et curiosité pour les plantes et pour la nature de façon plus générale ! Là encore, voir les paillettes dans les yeux des visiteurs lorsqu’ils découvrent ce qu’est une fleur –une structure extrêmement élaborée issue d’une longue période de coévolution avec les pollinisateurs– est gratifiant. L’art peut jouer un grand rôle dans la transmission de connaissances scientifiques et dans la sensibilisation. […] 

© S. Cassette
Illustration publications scientifiques M. Burrus

Un regard dans le rétroviseur scientifique

(SC) : Aujourd’hui, dans tous vos projets de recherche, lequel vous a profondément marquée ?

(MB) : Beaucoup ! « Lequel ? » Je dirais que c’est le projet inscrit dans le programme Science For Peace de l’OTAN: une collaboration entre des laboratoires français et bulgares. J’étais la Directrice administrative de ce projet […]. L’idée était d’établir une infrastructure de recherche à l’Académie des Sciences (Sofia), d’aider des jeunes étudiants à se construire un solide dossier de scientifique tout en initiant des programmes de recherche sur la surexploitation de ressources végétales naturelles bulgares. […] Un gros challenge pour moi était de comprendre que les collègues bulgares avaient énormément de choses à m’apprendre ; que ma « belle science occidentale » était parfois inadaptée au contexte local. Nos intenses échanges reflétaient  de réelles différences culturelles mais étaient source d'enrichissement réciproque.

 

Implication dans la direction de la FR AIB, réflexion sur l’avenir

(SC) : Depuis 2021, vous être Directrice adjointe de la FR AIB. Vous participez aux Comité de Direction, Conseil scientifique, appels à projets annuel, Forum annuel ; dernièrement à l’accueil de collègues de votre laboratoire CRBE dans le nouveau bâtiment PABS. Quelles sont les raisons qui vous ont menée à vous investir dans la Fédération ?

(MB) : C’est une aventure scientifique et humaine que je trouve stimulante. La Fédération regroupe des communautés scientifiques en écologie, agronomie, botanique dont les questions et les modèles d’étude semblent assez éloignés a priori. Rassembler une telle diversité de thématiques et de scientifiques sous un même toit pour créer des synergies et des collaborations est une opportunité. Ce bâtiment, même s’il est en plein rodage, est remarquable. La FR AIB peut avoir ce rôle de mise en lien, de création de pont, d’animation entre des communautés scientifiques mais aussi de soutien à la recherche via la plateforme d’imagerie et le SPV.

(SC) : Après la fin du mandat en 2026, l’organisation actuelle des fédérations du CNRS va considérablement changer : plus d’attribution de personnels dédiés notamment. D’après vous, quel intérêt à ce qu’une Fédération renouvelée en-dehors des contours actuels perdure ? Quelles perspectives imagineriez-vous ?

(MB) : Pour moi, la FR AIB doit continuer à exister sous une forme qui reste à co-construire avec les nouvelles équipes de direction des laboratoires, en restant vigilante sur les suggestions et les attentes des personnels. […] Je vois plusieurs missions. La première est de maintenir ce lien entre des communautés scientifiques qui, prises dans leur quotidien scientifique, pourraient très vite diverger. L’autre priorité est de continuer à soutenir, à accompagner les jeunes scientifiques dans leurs études et projets professionnels par des AAP[6] dédiés. […] Enfin, la FR AIB pourrait continuer à être ce lieu d’échanges et d’animation scientifiques, tant local que national : séminaire, colloque, journée scientifique, café discussions et bien sûr, les Jeudi Sciences qui constituent une réelle richesse à relayer hors de Toulouse (une suggestion ?).

Epilogue

(SC) : Souhaitez-vous ajouter quelque chose non évoquée ici mais qui vous tient à cœur ?

(MB) : Croire en sa chance et en ses capacités, croire à la force du collectif ! Je pense qu’on a, chacun et chacune, un immense champ des possibles. Il est important de rester à l’écoute des opportunités qui nous sont offertes et de garder confiance pour avancer, confiance en soi et confiance dans les autres. Je ne peux qu’encourager : l’aventure en vaut le coup !

Voir aussi

[1] Spécialité « Amélioration des plantes et Biotechnologies végétales ».
[2] Pioneer Hi Bred International Inc. « Producer of seeds for agriculture and major producer of genetically modified crops », filiale de CORTEVA Inc.
[3] Conseil national des universités (CNU) : groupe 10, sections 65 « Biologie cellulaire » et 67 « Biologie des populations et écologie ».
[4] Programme INTERREG POCTEFA (Programme Opérationnel de Coopération Territorial Espagne-France-Andorre), projet GREEN.
[5] En tant que membre du Commissariat scientifique.
[6] AAP : Appel à projet.